Le trésor - 4/6

Publié le par Lux

Amono y pensait maintenant jour et nuit. La pierre tombée du ciel l’obsédait. Il avait peur que quelqu’un découvre son secret avant qu’il ait pu en parler à son père. Il voulait lui offrir ce morceau d’étoile : c’était l’unique moyen pour qu'il lui parle enfin d’homme à homme, de père à fils. Pour l’instant il n’était pour lui que ce petit garçon qui avait avalé l’esprit de sa mère. Ses sœurs en parlaient parfois entre elles mais Amono ignorera toujours quel pouvait être le parfum de sa peau, la couleur de son sourire ou la musique de sa voix. Son père, lui, s’en rappelait cruellement à chaque que ses yeux croisaient ceux de son dernier né.
Le jeune garçon choisit alors de s’effacer à chaque fois que les pas de son père le ramenaient chez lui. Il baissait le regard et contemplait les mains vigoureuses et les jambes puissantes de cet homme dont il désirait tant la reconnaissance. Sa grand-mère lui avait dit une fois qu’il avait de la chance de ne pas avoir été abandonné, chance qu’il devait à son sexe : un homme ne rejetait jamais son unique fils. Après l’accouchement suivi de l’enterrement, il avait fallu du temps avant que Sékou accepte de prendre Amono dans ses bras. Il avait déposé un léger baiser sur le sommet du crâne duveteux du bébé avant de le confier à sa mère: «Occupe-t’en, je dois aller travailler». Il était alors parti rejoindre la ville et la société pour laquelle il travaillerait désormais, dévoreuse de temps et de routes, dévoreuse d’attention et de santé.
Les nuits d’Amono se peuplèrent de rêves et de cauchemars: la pierre grossissait jusqu’à dépasser les falaises et s’envoler. Elle retournait auprès de la planète mère d’où étaient issues toutes choses qu’on pouvait compter sur cette Terre : arbres, fruits, hommes, moutons… tout ce qu’on ne pouvait fabriquer et qui étincelait, précieux, fragile, et ne durait qu’un petit paquet d’années alors que les étoiles brilleraient encore longtemps après que la déesse Amma ait englouti la Terre lors d’une brusque fringale. Aya épongeait le front en sueur de son jeune frère: les mois qui les séparaient ne dépassaient pas en nombre les doigts de leurs quatre mains réunies. Aya non plus ne se souvenait pas de leur mère, pas même un éclat de peau ou l’effluve de son parfum et pourtant, avec Amono, elle en reproduisait sans le savoir les caresses et l’attention. «Petite maman », l’appelait parfois son frère, «douce maman» lui chuchotait-il au creux de l’oreille lorsque leur grand-mère ne les entendait pas.
Aya sentait que l’esprit d’Amono ne tenait pas en place, titillé par une pensée tenace. Chaque nuit le jeune garçon criait, appelant la déesse mère, la suppliant de lui pardonner de ne pas être à la hauteur. La fillette n’osait le réveiller et tremblait à l’idée qu’il ait fait quelque chose de mal, puisqu’il refusait même de lui en parler. Il rentrait des falaises le souffle court et le regard sombre alors qu’avant, ses virées nocturnes le rassérénaient. «Petit frère», lui dit-elle enfin, «je vois bien que tu souffres. Va trouver le hôgon, lui saura te conseiller». Une larme coula sur la joue d’Amono. Il embrassa sa sœur et courut chercher le trésor pour le présenter au Sage du village. Mais en rentrant, il découvrit ses sœurs en pleurs et sa grand-mère effondrée sur un siège. Entre deux sanglots, Aya trouva la force d’articuler: «c’est papa, il est malade et son corps est si faible que même le guérisseur ne peut rien pour lui. Il doit aller à l’hôpital!». Amono crut soudain ne plus jamais pouvoir respirer. Dans le creux de sa paume, la pierre chauffait doucement.

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C
J'aime bien lire ces textes. Continue à écrire ...
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