Iceberg et ours polaire

Publié le par Lux

Glace. Glacé. Froid.

White. Voici l'univers glacé dans lequel j'aimerais plonger, paumes ouvertes pour mieux goûter au mordant du froid et au tranchant des larmes gelées. Un pingouin se tortille, tâche noire sur miroir ivoire. Il va dans une direction, mais peut-être est-ce une autre, on ne sait jamais, au Pôle Nord, où se trouve le bas, où se cache le haut. Les certitudes sont blanches, éblouissantes sous le soleil au zénith. L'astre brûlant porte une toque de fourrure : est-ce du phoque, ou cet ours blanc abattu la veille par le viel inuit ? L'homme au visage aussi brun que la terre dont il ignore jusqu'au goût avait tranché d'un coup de dents la langue de l'animal. Le sang chaud du colosse blanc avait coulé sur la neige tel des gouttes de lave incandescente.

Brrrrrr, même pas le temps d'avoir froid : je ne suis pas venue au Groenland pour mourir frigorifiée ! Les chiens de traîneau m’encouragent en jappant, s’ébrouant de temps en temps pour faire tomber la neige qui s’accumule entre leurs oreilles formant comme un chapeau chinois tout blanc. L’igloo me cause des soucis. J’ai un peu de mal à tailler la glace avec mes doigts engourdis. Le vieil inuit me fourre dans la bouche un morceau d’ours. Je suis sûre qu’il aurait été meilleur cuit. N’empêche que le sang froid du géant blanc qui se mêle au mien me redonne un peu de force. Je peux presque sentir l’odeur de cette troupe de phoques partie camper plus au sud au bord d’un lac gelé. Ces spécialistes de la pêche blanche ont déjà fendu la surface à coups de queue. Ils se relaient au bord du trou et lorsqu’un éclair argenté tranche l’eau, le guetteur se laisse glisser gueule ouverte dans le puit sombre. Je ne dois pas beaucoup les impressionner avec ma moitié d’igloo. Heureusement que les chiens et le vieil inuit m’accompagnent. Je prend la pose trois minutes le temps que mon compagnon m’imagine en brave chasseur d’ours. En deux jours à peine, il aura sculpté dans le crâne de la bête une silhouette légère brandissant un harpon, le pied droit levé comme pour attaquer un tour de danse. Je suis fière de passer pour un valeureux Inuit alors que je ne suis qu’une petite blanche en vacances dans ce pays qui m’aura recrachée sitôt avalée.

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