Cuisine/é (1/4)

Publié le par Lux

Ce fut un cauchemar. Je n’aurais jamais dû accepter de dîner avec elle. Je n’aurais jamais dû accepter de dîner chez elle.
Nous nous sommes rencontrés lors d’un mariage. Mon cousin m’avait proposé de l’aider pour le service, un moyen de se faire un peu d’argent tout en matant les jolies copines de la mariée. Ce fut plutôt sympa et pas trop fatiguant. La mariée n’arrêtait pas de pleurnicher. Son mascara avait coulé et elle se promenait entre les tables avec des yeux de panda euphorique. Il y avait 350 invités, tous pomponnés et tous pompettes passé 22h. Mon job, c’était les couverts, enlever les sales, remettre des propres, remplacer les couteaux à poissons par les couteaux à viande, ramasser ceux tombés par terre surtout autour de la table des enfants, et empêcher les mioches de s’en servir comme sabre ou pour crever les ballons. Nous étions 10 dans la cuisine, sous les ordres du traiteur qui était en fait «une», cheveux noirs roulés en un chignon bas, les gestes et le verbe secs, un vrai tyran des fourneaux. Elle passait au scanner de son regard impitoyable la moindre assiette ou le moindre plat qui quittait la pièce. J’ai dû relaver toutes les petites cuillères du dessert sous prétexte que je les avais faites tomber par terre : personne ne s’en serait pourtant aperçu! Mon cousin la surnommait la chieuse. Moi, je préférais l’observer en douce s’agiter au dessus du plan de travail. Ses hanches étroites étaient moulées dans la veste blanche des cuistots et je ne sais comment elle s’y prenait, mais à la fin de la soirée, sa veste était aussi propre que si elle l’avait juste enfilée. Elle avait un sacré coup de main pour trancher les légumes ou la viande avec un couteau aussi long que son avant-bras. Devant elle, je jouais au mec professionnel et un peu dur, évitant les blagues grivoises et les tapes sur les fesses des serveuses. Les femmes hautaines me faisaient triper. Je n’avais qu’une envie, détacher son élastique, attraper à pleines mains ses cheveux et mordre ses lèvres si promptes à nous engueuler. Je lui plaisais, même si je ne l’ai pas remarqué tout de suite.
A la fin du mariage, nous avons lavé la cuisine, servi le café et rangé tous les couverts, assiettes et ustensiles de cuisine dans son camion. Les serveurs sont partis finir leur nuit en boîte et je suis resté seul avec elle à nettoyer les éviers. Nous avons fait l’amour par terre sur le sol encore mouillé. Elle me chevauchait les yeux mi-clos. J’ai joui en regardant sur les portes métallisées des placards son reflet ondulant de plaisir. Je voulais la revoir. Absolument. Elle avait peut-être 10 ans que moi et un coup de reins à faire décoller un bateau. Je lui écrivis mon numéro de téléphone sur la manche de ma veste et lui ai tendu. « Appelle-moi ». Elle me regarda sans un mot et attrapa la veste qu’elle jeta dans un coin de la cuisine avec les autres blouses sales. Nous n’avions pas échangé une seule parole et j’étais persuadé de ne plus jamais avoir de ses nouvelles.
Trois semaines plus tard, je reçus un appel: «Bonjour, c’est Victoria». Il me fallut quelques secondes pour mettre un visage sur ce prénom que je ne connaissais pas. «Victoria? Du… du mariage?». «Oui», répondit-elle, avec la même concision que celle manifestée lors de nos premiers échanges. «Je suis libre. Ce soir. Voilà mon adresse.» Et je m’empressai de la noter fébrilement sur un prospectus posé sur mon bar. J’avais pourtant rendez-vous au ciné avec un copain que je rappelai aussitôt: «Ouais, tu comprends, j’ai un plan ce soir avec cette nana… Non, tu ne la connais pas… Ouais, elle est super bandante ! J’ai pris mon pied grave la dernière fois ! J’te raconterai, mec, promis. Allez, à toute’!».

To be continued...

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