Cuisine/é (4/4)

Publié le par Lux

Ma main droite suivait en tâtonnant le mur du couloir. Victoria ouvrit une porte et enfonça la pointe du couteau entre mes omoplates. «Avance». J’étais toujours en caleçon et le passage de la cuisine encore emplie de la chaleur du four à cette pièce au sol frais me fit éternuer. «Je peux enlever le bandeau?», risquais-je. En reculant, je trébuchai contre une descente de lit et m’étalai sur des draps de soie qui réchauffèrent immédiatement ma peau nue.
Victoria s’installa à califourchon sur moi et, tout en me mordillant l’oreille, attacha ma main droite à la tête du lit à l’aide d’une menotte. Clac! Je tirai sur la chaîne qui cliqueta mais ne céda pas. «Donne-moi ton autre bras». «Je ne sais pas si…». Re-clac! L’anneau de fer s’était refermé sur mon poignet gauche.
La suite m’échappa totalement. La jeune femme ondulait de tout son corps et m’utilisait comme une poupée gonflable, accélérant et ralentissant au gré de sa jouissance. Mon propre plaisir était à la merci du sien. Les mains attachées exacerbaient le mien: je ne pouvais que me tortiller comme une chenille en demandant grâce. Au moment de jouir, elle hurla comme le loup chante à la pleine lune, d’un cri rauque extirpé des entrailles. Je frémis à mon tour, épuisé par la tension de cette joute corporelle que venait de mener Victoria d’une poigne de chef. Je me demandai si elle avait déjà invité d’autres cuistots chez elle pour cette sorte de bizutage, étudiant leur capacité à résister au stress. J’avais toujours les yeux bandés et lorsqu’elle le retira la serviette qui entourait ma tête, je clignai des yeux, aveuglé par la lumière des plafonniers. Elle m’embrassa et quitta la pièce dans un nuage parfumé.
Je restai là, allongé sur le lit, menotté, les pupilles mouchetées d’étoiles qui s’agitaient comme des insectes pris de panique. Je relevai la tête: «Victoria?». Elle ne comptait tout de même pas m’abandonner ainsi! Je ronchonnai depuis quelques secondes lorsque je remarquai ce qui était accroché au-dessus du lit, au-dessus de moi, éclairé de brefs éclats lumineux: des couteaux, longs, luisants, affûtés et suspendus à des fils invisibles, des cheveux d’ange si fins que je n’osai plus respirer. Ma gorge se serra brusquement jusqu’à en devenir douloureuse. «Victoria! appelai-je, Victoria, viens me détacher!». J’entendis l’eau qui coulait dans la salle d’eau: la salope prenait un bain alors que ma vie dépendait de la solidité de ficelles aussi épaisses que les entrelacs d’une toile d’araignée! De longues minutes s’écoulèrent, une éternité. Je comptai 36 couteaux, un par année, je supposai, un challenge que cette tordue s’infligeait. Comment pouvait-elle s’endormir avec cette menace au-dessus d’elle? Je l’imaginai tirée du sommeil parce qu’un couteau s’était détaché et s’était planté entre deux côtes. Un bien étrange mobile qui se riait des courants d’air.
Elle réapparut, fraîche et parfumée, un mince sourire sardonique étirant ses lèvres pulpeuses. Elle me détacha alors sans un mot et m’embrassa longuement sur la bouche en un long baiser appuyé, impérieux. Je la repoussai, bondis hors du lit et me précipitai hors de la maison, nu comme un ver. Il devait être plus de minuit car les lampadaires dans la rue étaient éteints. Je tremblai tellement, de froid et de peur rétroactive que j’eus dû mal à démarrer ma mobylette. J’aurais dû lui voler une serviette mais je ne voulais surtout pas remettre les pieds chez elle.
Je ne parlai de cette aventure à personne et refusai systématiquement tous les jobs que me proposa mon cousin par la suite. Inutile de risquer de retomber sur elle et sous son emprise.
Un jour, des mois plus tard, en lisant la feuille de choux locale, je tombai sur un article qui me hérissa les poils des bras: «Meurtre mystérieux: un jeune homme retrouvé mort dans le parc, le corps lardé de coups de couteaux. La police indique que l’homme a eu une relation sexuelle les minutes précédant son assassinat. Crime passionnel? Vengeance d’une femme blessée? L’enquête suit son cours». Mes mains tremblaient tandis que je reposai le journal sur la table. «Victoria…». Je ne pus m’empêcher de penser à elle, à ses goûts morbides pour les armes blanches.
eureusement, j’avais changé de numéro de téléphone et elle ne connaissait pas mon nom de famille. Heureusement.

The end !

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