Hémisphère Sud

Publié le par Lux

Dans l’hémisphère sud, les étoiles ont un éclat particulier, plus intense, une plainte lointaine qui retentirait en autant d’échos qu’il y a de points lumineux dans le ciel. Les nuits sont teintées d’encre couleur ébène, un néant troué de milliards de clous plantés au hasard dans le vide.
La nuit, les gens et les choses ne sont jamais tout à faits ce qu’ils prétendent être le jour. Le mystère se dissimule dans les cœurs, se glisse dans les racines des arbres et se fond dans le vent. Les secrets plantés dans les rizières sont récoltés en même temps que le riz, semés, repiqués, coupés, éparpillés sur le sol et sur Terre en milliers de grains blancs.
Il se murmure des histoires étranges dans les campagnes et même en ville. On les chuchote, on les répète, des on-dit, tous vrais, c’est ce qui se raconte, c’est ce qui se chante le soir autour du feu allumé près de la maison.

Les hommes aiment se raconter cette histoire, pour se distraire mais surtout pour rappeler aux plus jeunes qu’il ne faut jamais jouer avec les esprits…

La nuit était tombée tôt ce soir-là, c’était le début de l’hiver et la fraîcheur s’installait peu à peu jusqu’au cœur des villages. La nuit avait englouti les rizières et les collines où s’accrochaient les rares habitations. Les murs de latérite paraissaient comme frottés avec de la suie. On entendait ça et là des rires mais beaucoup dormaient déjà, épuisés par leur journée aux champs.
Grand-père Antsa s’était assis près du feu sur un tabouret, refusant par fierté le confort de la vieille chaise au fond de paille. Le soir, la fatigue pesait sur son dos telle une lourde charge qu’il ne pouvait plus enlever. Le vieil homme se pencha au-dessus du feu jusqu’à ce que les flammes lui mordent les joues. Le froid n’était pas aussi insidieux dans sa jeunesse, il n’y avait alors pas de saison, juste une chaleur claire qui s’estompait durant les mois d’hiver avant de renaître plus vive encore entre deux cyclones. Mais aujourd’hui, il devenait difficile de se réchauffer le soir, malgré la superposition de vêtements troués. Une quinte sèche comprima brusquement ses poumons. L’aïeul pressa un instant une main crispée sur sa poitrine avant de laisser son regard se perde de nouveau dans le rougeoiement des braises.
A quelques mètres de lui, Francky, son plus jeune fils, étalait du plat de la main le riz récolté l’après-midi. D’un geste rapide et mécanique, le jeune homme disposait les grains en un rectangle blanc crème qui luisait doucement sous les caresses capricieuses des flammes tandis que sa femme Fanj préparait le repas du soir, un bol de riz accompagné de gros haricots ronds. La jeune femme chantonnait doucement tout en égouttant le riz au-dessus de la terre. L’eau blanchâtre se répandit à ses pieds en une flaque laiteuse.
Les enfants dormaient déjà dans la chambre, roulés en boule sur une large natte de raphia. Rien ne pouvait troubler leur sommeil, pas même le ballet incessant des cafards dont les pattes cliquetaient sur les murs à la peinture vérolée. Le bruissement discret de leurs va-et-vient accompagnait chacune de leurs nuits depuis leur naissance. Les insectes et la faim aussi parfois, énorme araignée qui tissait sa toile au creux des entrailles avant de s’extraire au petit matin, abandonnant l’estomac à son insoutenable fringale.

A suivre...

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